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Le Havre

3 janvier 2012 par Jacques

Réalisé par

Aki Kaurismäki
Avec
André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin

Pour rester proche du peuple et fidèle aux préceptes du sermon sur le montagne, Marcel Marx, qui sait enjoliver le réel à l’aide de doctes sentences gagne encore son pain, la soixantaine passée en cirant chaque jour les chaussures des passants dans les rues du Havre, arborant le flegme de ceux qui eurent leur content de gloire ou de reconnaissance dans un lointain passé d’écrivain saltimbanque. Ce vécu a façonné un personnage jamais atteint par les avanies du temps présent, comme la mesquinerie du gérant d’un grand magasin qui le chasse de sa devanture, mais cet interdit est inopérant et il sera bravé plus tard, avec cette obstination propre aux petits métiers qui, depuis Charlot, ont appris à s’adapter aux contraintes de la rue. Marcel a rencontré et épousé sa muse, Arletty, destinatrice le soir, des euros gagnés, gardienne attentive des économies destinées au portefeuille des honnêtes gens, la boite en fer blanc du buffet, et il a trouvé dans le quartier des dockers, une petite maison comme point d’ancrage avec un bistrot proche pour s’offrir l’apéro du dîner et retrouver la fraternité de ses semblables.

Tandis que sur les docks, un conteneur abritant des Maliens de tous âges est repéré par un vigile puis encerclé par un escadron de gendarmerie, un enfant parvient à s’échapper et à se cacher de la police dans les appontements du quai. Désormais, c’est un chien perdu sans collier que Marcel apprivoise alors, en lui apportant discrètement quelque nourriture et héberge, quand sa femme malade est hospitalisée. Dès lors, le cireur de chaussures va exercer son altruisme naturel , visites quotidiennes à l’épouse et bouquets de fleurs maladroitement justifiés: «je les ai eu à bas prix….euh, au contraire, elles ont coûté cher» et recherche active en parentalité pour l’enfant noir tombé du ciel. Avec son vieux costume pour tout viatique et la bonne foi du charbonnier, Marx écume les camps de migrants de Calais et Dunkerque et découvre que la mère est réfugiée à Londres. La ténacité récompense le miséricordieux. Suffira t-elle à faire passer clandestinement le gamin en Angleterre, au prix d’une somme astronomique, quand pressé par le Préfet de mettre la main sur le fugitif, l’inspecteur Monet à l’affût dans un quartier où il a ses aises, est renseigné par un voisin mal intentionné?

Fable humaniste, le Havre raconte la mobilisation d’une poignée de voisins solidaires – nouveaux justes- pour cacher et conduire à bon port un enfant noir sans papiers échoué là, par hasard. Mais son réalisateur finlandais Aki Kaurismäki évite soigneusement d’appuyer sur le trait de l’engagement militant, préférant suggérer ici ou là, un déploiement démesuré des forces de l’ordre, la manipulation de l’opinion (« les clandestins: des liens avec Al Quaïda », titre Paris Normandie) et laisse au spectateur vigilant le soin de s’étonner de la mobilisation inverse de l’appareil de l’État, Préfet en tête, pour stopper la cavale d’un gamin. A la manière du Marseillais Robert Guediguian développant un scénario politique ou sentimental dans le creuset d’un microcosme, Kaurismäki construit une réalité mythique à l’ambiance délicieusement surannée plus proche de l’imagerie des romans de Simenon, du cinéma des années 50 auxquels s’apparentent les principaux lieux de vie imprégnés d’austérité, le foyer des Marx, le bistrot, la boutique ou la chambre d’hôpital. Les personnages forment une typologie sublime, Jean Pierre Léaud en mouchard aigri, Arletty tenant debout par miracle avec sa robe de lumière et son mari qui avance sans se poser de questions dans un jeu de chassé croisé avec un flic fouineur et ambiguë, partagé dans son identité professionnelle. Des tableaux ciné-géniques comme ce cerisier en fleurs aperçu dans « la colline aux adieux » ou les lumineuses retrouvailles des époux fâchés, Mimie et little Bob dont la résurrection sur scène est un des joyaux du film, rendent hommage à la tradition attachante du cinéma romantique. Le Havre, c’est la soupe populaire d’un réveillon fraternel dont les plus modestes sont les héros: http://www.youtube.com/watch?v=88-GIdGS2-I


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