
Réalisé par Thomas Cailley
Avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs, Brigitte Roüan, Antoine Laurent…
L’attirance peut naître parfois d’une rencontre avortée. Lors d’un combat rapproché sur la plage sous l’égide de l’Armée de terre, le frêle Arnaud (Kevin Azaïs) apprenti menuisier subit la loi de Madeleine (Adèle Haenel) le corps idéalement sculpté par une pratique sportive intensive, nage sous marine, ou judo. Nantie d’un Master en « économie du futur », la jeune femme n’a qu’une obsession, se préparer aux risques d’une catastrophe naturelle ou d’un accident nucléaire et développer son aptitude à la survie par exemple en avalant pour s’endurcir, une bouillie de poisson cru ou en décapsulant une canette à la dent, avant d’intégrer bientôt un régiment d’élite. Lui n’est guère pressé de s’impliquer dans la menuiserie familiale selon le vœu de la mère, veuve depuis peu, ou du frère aîné, de devenir déjà un acteur à part entière d’une vie professionnelle toute traçée: son centre d’intérêt est d’une autre nature. Dans le milieu de la camaraderie estivale, dominé par l’insouciance, Madeleine surprend le jeune homme par sa solidité, son indépendance, ses sombres pronostics, son caractère un poil rigide. Inébranlable dans ses choix, la dur à cuire part donc en stage de quinze jours chez les dragons parachutistes mais l’attentionné Arnaud s’aventure à la suivre comme le poisson nettoyeur se lie au requin.
Toute colorée d’une ironie bien calibrée, la vie de caserne propose une autre version de l’utopie du surhomme, lit moelleux pour les participantes, flamby comme désert, et la diplômée questionnant le sens du devoir s’éloigne de l’esprit de corps mis en exergue par L’armée. L’activité maquillage de nuit qui oblige à caresser chaque partie du visage de l’autre offre aux deux protagonistes, une séquence intimiste de nature à ébranler les esprits. Ainsi, les certitudes de l’une vacillent, la confiance en soi de l’autre s’affermit et au jeux hérités du scoutisme, Arnaud se révèle supérieur à sa rivale, aussi, pour achever de la convaincre, il abandonne la course d’orientation des militaires pour une opération de survie improvisée en pleine nature, la forêt aquitaine offrant son cadre idyllique à l’éclosion du lien amoureux. Mais l’apparente sérénité de la sylve dissimule aussi de bien réels dangers dont on n’échappe pas sans alliés, le facteur chance, un partenariat à toute épreuve.
Thomas Cailley stratifie avec élégance une romance qui ne dit pas son nom, car les étapes du déroulé amoureux reposent sur le hasard des effets de choc entre deux tempéraments parfaitement opposés, mis au défi d’épreuves concrètes imprévisibles. Chaque palier où s’installe une relative complicité est souligné d’une parenthèse enchantée musicalement. Entre les comédiens principaux et secondaires civils ou militaires, une parfaite osmose assure l’unité du récit. Les combattants forment une matière innovante en combinant avec fluidité des styles diversifiés une chronique familiale, une intrigue sentimentale, un récit d’initiation à l’armée de terre, un scénario de catastrophe. Obstinément ou tranquillement, Adèle et Arnaud s’affranchissent des postures assignées, prêtes à porter, pour trouver un point d’équilibre au sortir d’une expérience vitale. Chère au réalisateur, la nature à la fois dépouillée et grandiose parvient à mettre à nu la vérité des individualités au sein d’un couple inattendu et attachant.